Quelle vision ! Le métissage de plus de 3000 ans d’histoire défile devant mes yeux
Hong Kong 2017
Je me rends compte que cette compétition m’a marqué à jamais. Tant de choses en ont découlées. Là encore une anecdote me revient en mémoire.Mais qui sera le début d’une prise de conscience que ce continent, l’Asie, est en moi depuis toujours.
J’aime quand les choses se révèlent soudainement, sans aucun préavis. Lorsque l’on est absorbé par ses prises de vues. Tous nos sens sont en alertes pour essayer de capter le plus de choses possibles Et pourtant un sixième vient parfois vous rappeler son existence.
On sort de la rationalité.
Mais comme l’avait si bien remarqué l’un des plus grands historiens de l’art, Daniel ARASSE, à force de regarder le tableau, la toile se lève !
C’est exactement ce qu’il m’est arrivé. J’alterne entre la salle d’échauffement et la chambre d’appel. Mes affaires sont avec l’équipe mongole. A la pause ils m’ont spontanément offert le repas. Le lendemain ça sera l’équipe coréenne. Que dire devant ces gestes de générosité.
Souvent je profite de la coupure pour faire le best-of du matin ou à minima de décharger les cartes mémoire. Pas pour cette fois, encore plus qu’avant, chaque photo est pensée. Et si les occasions ne manquent pas pour immortaliser la diversité humaine de cette partie du monde, j’ai de la marge. Donc c’est avec bonheur que je vis avec eux.
Déjà tant de choses et de rencontres se sont passées en ce premier jour. J’en ai le tournis et il me faudra du temps pour réaliser à quel point je suis en osmose avec la voie que je me suis choisie. Pas de doute je fais le plus beau métier du monde.
En ce deuxième jour, tout bascule, je change de dimension. Je relève soudain mon œil droit du viseur de ma caméra. » Bon sang mais c’est bien sûr ! »
Comme il fait partie de la direction de la chambre d’appel, je pars voir le secrétaire général de la fédération de judo du Kazakhstan, la légende Askhat ZHITKEYEV. On se connait depuis le temps et on s’apprécie mutuellement. Je lui fais remarquer que sa chambre d’appel n’est pas qu’une chambre d’appel ! Il me regarde interloqué.
Non c’est la Route de la Soie !
Il fronce ses sourcils d’habitant de l’Asie Centrale. Et soudain il comprend et son visage eurasien s’éclaire .
On s’est compris.
Le parcours sinueux qui s’affiche devant mes yeux me fait passer de l’Iran, l’ancienne Perse, puis atteint l’Afghanistan.
On remonte en’Asie Centrale : Turkménistan, Tadjikistan, Kazakhstan, Ouzbékistan Kirghizistan.
La Mongolie nous tend les bras avant de redescendre par le désert de Gobi en Chine vers l’ancienne capitale Xi’An. Mais seule la partie terrestre de cet axe mythique du Monde est accomplie.
Il nous reste la route maritime.
Passé l’Himalaya par le Népal ou le Bhoutan, on redescend,vers Inde, ou au le Pakistan au choix, pour retrouver les ports qui vous amèneront dans la péninsule indochinoise.
Là, le détroit de Malacca vous tend les bras. L’Indonésie ou la Malaisie à votre convenance. Une pose à Singapour, à moins qu’un typhon vous oblige de dévier par les Philippines.
Ensuite le grand bain dans le terrifiant Océan indien et ses 50° hurlants. Si vous survivez, vous arriverez à bon port en péninsule arabique.
Et comme Alexandre LE GRAND, vous vous rendrez compte en Perse que cette voie commerciale, bien qu’il l’ait découverte à Babylone quatre siècles avant J.C. existait depuis presque un millénaire déjà ! Les momies européennes retrouvées récemment dans l’Altaï le prouvent. A la poursuite de DARIUS III jusque dans l’Hindou-Kouch il verra avec son armée, à quel point le monde est vaste et d’une diversité phénoménale. Le peu qu’il ait vécu, il ne cessera de métisser les 2 continents. La rencontre de ses 2 mondes a créé plus tard un art gréco-bouddhique unique au monde dans les oasis du Taklamakan et dans la Transoxiane .
On ne serai pas complet sans l’évocation du big game, cher à Kipling, où la Russie s’est appropriée l’Asie Centrale jusqu’à l’effondrement de l’URSS.
Toutes mes lectures depuis mon adolescence me reviennent comme une vague et me submergent en ce jour à Hong Kong. Je ne sais pas comment je contrôle mon vertige. La suite de cette vision guidera toute ma carrière. Elle ne sera plus jamais pareille. Peu m’importe le palmarès du judoka qui se présente devant mon objectif. Seule sa personnalité et sa participation à la diversité humaine m’intéressent.
Je n’ai pas choisi la facilité, mais la liberté.
Je ferai surement moins de reportages dans l’avenir, mais d’une manière différente, et presque exclusivement en Asie.
Je regarde Mukhammadkarim KHURRAMOV avec son regard intense vert émeraude. Il devient alors évident de faire une exception à la règle. Il y a des fois où la couleur s’impose. Alors pour toi seul mon frère, je te fais cet hommage, une prise en couleur directe.
S’il habite trop loin pour être issu de l’armée perdue d’Alexandre au Nouristan, il résume pour moi la force de ces échanges qui ont depuis tout temps parcourus ce continent monumental : l’Eurasie..
Emmeric LE PERSON