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中国 : LA CHINE

yannan li
Yannan LI

Est-ce qu’un visage peut vous donner envie de traverser la planète ? Oui !

Tournoi de Paris 2017, des centaines de judokas sont dans la salle d’échauffement . Une ambiance indescriptible est en train de monter. Il ne faut surtout pas que je me disperse sinon je perdrais le fil de mon reportage. Dans ces cas-là l’expérience prime, et l’œil rivé sur l’objectif je reste mobilisé. Comment ne pas comprendre que des athlètes qui découvrent le chaudron de Bercy pour la première fois, se décomposent et finissent par perdre leurs moyens. Des français combattent en nombre en ces premiers tours et l’ambiance est proche de son paroxysme. Le long couloir aux tentures noires de la salle d’échauffement finira par les perdre tant c’est impressionnant. Si jamais elle a lieu, j’espère cependant que l’édition de 2021 ne sera pas à huit-clos. Car cela ressemblera plus à l’entrée d’un tombeau qu’à une entrée dans l’arène.

Mais revenons à la salle d’échauffement. Les appels de combattants s’enchainent dans la sono, impossible de les ignorer. Ma concentration montre d’un cran et tout d’un coup je la vois :

Le monde s’arrête devant tant de beauté. Je sais déjà que cet instant fugace restera gravé en moi, même après ma carrière. Je voudrais la mettre en valeur et la prendre en photo lorsqu’elle aura revêtue son judogi. Mais la spirale de la compétition m’aspire déjà. Je me doute aussi que j’aurai du mal à retrouver Yannan le reste du week-end. La Tournoi de Paris a rarement réussi à l’équipe chinoise, écrasée par l’évènement. D’ailleurs elle fait office de fantôme par sa discrétion et sa culture du secret. Je me rend compte qu’en fait, je n’ai que très peu côtoyé cette nation à cet instant précis. Comment aurais-je pu deviner ce qui allait suivre ?

Pourtant en 2015, lors de mon premier séjour en Mongolie, j’avais discuté longuement avec Khaliun BOLDBAATAR. C’est le compagnon de Munkhzaya TSEVEDSUREN . Il était l’entraineur adjoint de judo de la province chinoise de la Mongolie Intérieure. Sa description du quotidien faisait vraiment froid dans le dos. Il était l’humaniste, lui le mongole des steppes. C’est vous dire la rudesse de ceux qui s’entrainent jusqu’à 4 fois par jours sans répit. Devant l’absence d’atmosphère de l’équipe chinoise je n’avais pas réussi à sortir quelque chose de valable dans mon reportage. Mais une grande frustration commençait à monter et pendant des mois Khaliun a essayé de me faire venir au centre de HOHHOT, en vain. C’était trop tôt, ça n’était pas non plus le centre national. Dommage j’aurai tant aimé raconter de l’intérieur son aventure humaine dans l’autre visage de cette Mongolie chinoise. Mais a Chine c’est d’abord l’école de la patience.

Hong Kong sera pour moi la porte d’entrée de la Chine continentale. Lorsque j’ai couvert les championnats d’Asie à l’été 2017, j’ai pu pleinement mesuré toute la diversité humaine du continent cher à mon cœur. Et pour la première fois, je découvre enfin l’équipe chinoise. Mais comment vais-je procéder cette fois pour réaliser ce rêve ? Yannan LI va m’aider. Il me faut une clef, une porte d’entrée. La barrière de la langue est insurmontable à ce moment-là et personne ne me connait là-bas. Du moins le croyais-je…

Yannan attend son combat dans la file de la chambre d’appel. Encore une fois elle est est d’une beauté à couper le souffle.

Ensuite il faut attendre le bon moment. Jamais se précipiter, respecter l’intimité des athlètes dans leur concentration. Au moment propice où je m’approche de Yannan, je lui montre ma prise de vue. Tout au long du séjour, ça sera la même atmosphère, y compris pour l’équipe japonaise. Une humilité de tous les instants, ce retour qu’ils vous donnent en se voyant au travers de mon objectif. J’ai beau leurs dire que c’est moi qui suit honoré d’être ici, rien n’y fait. Quel fraicheur, et cette certitude de ne vouloir mettre en avant que ceux qui ne le sont jamais ou que trop rarement. Grace à un membre du staff qui traduit mes propos Yannan m’autorisera à utiliser cette photo pour mon calendrier féminin du judo mondial. Pour moi c’est énorme. Je me rend compte au fil du séjour que si cette équipe vit dans sa bulle, elle est plus sereine, en particulier dans l’équipe féminine. En Asie c’est toujours par l’équipe féminine que l’on se fait la meilleure idée de la qualité de l’état d’esprit d’un pays. Du coup la Chine devient un objectif majeur dans mon parcours. Etre un pionnier, toujours, voilà ce qui me fait avancer dans le reportage.

Yu Xiang LIU

Alors je me lance en parlant directement avec le staff. Je leur montre mes rushs, on discute du sens de ma démarche. La coach Yu Xiang LIU me sera d’un grand soutien. Grace aux traducteurs automatiques on va affiner la discussion pour être sûr que ma demande ne se perde pas dans les méandres administratifs du comité olympique chinois. Elle m’apprend que je ne suis pas un inconnu et de part mon approche elle souhaiterait avoir un témoignage de vie de son équipe. L’universalité du reportage photo ne m’a jamais semblé aussi réelle.

Les contacts avec la fédération vont s’étaler sur près d’un an. En juin 2018 j’ai la chance de couvrir les championnats de l’est asiatique en Mongolie. La Chine en fait partie, tout comme le Japon, les 2 Corées, HKG, Macao, Taiwan. Je ne vous dit pas l’ambiance ! L’épreuve par équipe me permettra d’être au plus proche de la compétition et de restituer au mieux l’intensité des encouragements des équipiers. Il manquera malheureusement ce partage du son de la diversité des langues asiatiques qui me bouleverse. Présent pour le stage qui en a suivi, on a pris le temps de mieux se connaitre avec l’équipe chinoise .Même s’il est encore trop tôt pour oser parler de complicité, une certaine connivence se dessine et on a plaisir à se voir au quotidien.

Le tournoi de Hong Kong étant devenu mon repère annuel, je fais partie dorénavant de l’organisation. Alors mes contacts asiatiques se renforcent naturellement à chaque édition. Suivant les aléas géopolitiques : un pays – deux systèmes, l’équipe de Chine n’est pas présente à chaque édition. Cependant tout s’enchaine comme dans une partition pour moi. Et je retrouve l’équipe chinoise quelques mois plus tard après le séjour mongol. Yannan n’y est pas cette fois. Mais une athlète attire naturellement mon attention. Elle rayonne d’un leadership positif et se balade toujours avec sa caméra pour immortaliser le parcours de son équipe. C’est Anqi SUN.

Anqi SUN

Elle me montre son travail et je lui donne des pistes pour étoffer son reportage. En quelque sorte elle m’adoube et cette fois-ci l’intégration est faite avec l’équipe. De la joie de pratiquer leur judo transpire sur le tatami.

Tongjuan LU et Anqi SUN
Yanan JIANG
Wen ZHANG

Ce plaisir de pratiquer le judo n’est pas une évidence en soi pour un judoka chinois. La culture exacerbée du résultat est réelle, on la retrouve dans toutes les strates de la société. Mais surtout le poids de l’histoire est omniprésent. Plus personne ne s’étonne que la France soit la plus grande nation du hand-ball, un sport allemand. Notre histoire européenne a réussi cette assimilation. On peut en être fier de vivre dans un monde en paix. Mais le passé est lourd entre la Chine et le Japon. La guerre sino-japonaise a laissé des traces indélébiles. Le massacre de Nankin de 1937, par exemple, ne sera jamais oublié. Alors quand la Chine a décidé de s’investir dans le judo, ça ne fut pas sans arrière-pensées pour les dirigeants. La Chine est avant tout le pays du kung-fu ne l’oublions pas ! Mais ça n’est pas une discipline olympique. Alors le judo fut un choix par défaut et pas forcement valorisant au départ pour les athlètes qui furent recrutés au départ de cette aventure. Pour l’anecdote il faut savoir que son enseignement se fait en utilisant uniquement des termes chinois pour désigner toutes les techniques du judo. C’est donc avec ces données en tête que je vois, subjugué par cette joie de vivre, qui semble animer cette équipe devant moi.

Mais quel est ce secret ? Pour moi il est double.

Mme la Présidente Dongmei XIAN

D’abord toute nouvelle partition digne de ce nom exige un compositeur hors-pair. Amener la Chine dans une nouvelle dimension, franchir un cap il fallait une personnalité hors-norme à la barre. Savoir se remettre en cause et rechercher ailleurs s’il le faut les talents adaptés à ses objectifs. Madame la Présidente XIAN l’a mise en pratique. Malgré un palmarès exceptionnel par ses deux titres olympiques, dont celui de Pékin, elle aurait pu se fier aveuglement au système qui l’a portée si haut. L’enseignement dans la douleur et le perpétuel dépassement de soi n’est pas synonyme d’épanouissement personnel. Tellement loin des notions du taoïsme qui sont à la base de la pensées chinoise ancestrale. C’est ainsi qu’elle n’a pas hésité à aller dénicher des talents hors de ses frontières. C’est là mon second point. A ce titre elle est allé recruter son chef d’orchestre.

C’est un monument d’humanisme et de pédagogie, le français Jean-Pierre MILLON. Il va prendre en charge l’équipe féminine. Au pays de MAO c’est une véritable révolution !

Avec un tel alignement de planètes mes démarches finissent par aboutir et me voilà à Guangzhou pour couvrir les Masters missionné par la fédération chinoise en décembre 2018. Après un trajet en train de 2h depuis Hong Kong j’ai amorcé mon immersion dans ce pays immense. J’arrive sur le quai, habité de cette certitude : je suis ici à ma place.

C’est une belle opportunité pour la Chine de se confronter avec les meilleurs judokas du monde. Avec 4 athlètes autorisés par catégorie, le staff va récolter des données précieuses quant à la hauteur de la marche qu’il reste à franchir pour atteindre les sommets. Comment vais-je retrouver les athlètes, terrassés par l’évènement ou vont-ils profiter pleinement de cette chance ?

Il est à peine 8h du matin, je suis dans la première navette qui amène à ce tournoi prestigieux. Comme souvent je me retrouve avec le kiné du Japon qui va en profiter pour baliser la zone de toute l’équipe dans la salle d’échauffement. Certaines équipes s’en mordront les doigts par la suite d’avoir négliger ce détail. Le niveau de professionnalisme se détermine au regard de tels détails. Par suffisance, certaines nations le négligent. Une compétition c’est plus de 8 heures de présence, alors autant tout faire pour mettre ses athlètes dans le plus grand confort possible. La réussite commence par-là. Déjà des judokas chinois sont affalés et de reposent.

Il ne sont encore qu’une poignée, mails ils me regardent, éberlués que je m’intéresse à eux. C’est tout le sel de ce métier : valoriser ceux qui ne l’ont jamais été. La mission est des plus limpide. C’est prendre en exclusivité l’équipe chinoise pendant les tours éliminatoires, puis élargir lors des finales et faire la promotion du judo dans les médias chinois.

Je ne sens finalement pas de pression particulière au sein de l’équipe chinoise. Une sérénité domine. C’est le staff qui montre l’exemple, Jean-Pierre MILLON en tête. Je pense qu’ils ont conscience de leur potentiel et prennent cette compétition comme un test grandeur nature. Le staff pourra mettre le curseur au bon endroit pour la suite de leur préparation olympique.

Je retrouve Yannan LI avec son ami ils forment un couple magnifique. Son parcours s’arrêtera trop tôt. Il en restera quelques photos.

Sportivement seule Tongjuan LU sortira des poules.

Mais sa complicité avec Jean-Pierre MILLON a pris une dimension supplémentaire.

La coupure sera l’occasion de prendre le temps d’entrer en contact avec Jean-Pierre. La photo vaut milles mots. Alors autant lui laisser ma tablette pour qu’il regarde ma compilation sur l’équipe chinoise tranquillement.

Je le retrouve peu après. Pour moi ce fut un beau moment de rencontre. Discuter avec un entraineur ouvert d’esprit c’est toujours un régal. Luxe suprême on le fait en français. Alors il est plus facile d’aller au bout de sa pensée, d’argumenter au plus juste. Je lui parle de ma propre expérience avec l’équipe chinoise. Je constate que le plaisir de pratiquer existe enfin. Mes discutions en aparté, avec Anqi SUN notamment, abondent en ce sens. Je lui parle aussi du rôle certain de la photo dans les rapports humains et tout le bénéfice qu’il pourrait en tirer pour l’épanouissement de ses athlètes. Les selfies sont de leur génération mais on en trouve vite les limites. Les photos posées, scénarisées, n’auront jamais l’impact de l’authenticité. On ne se voit pas vivre. Cet arrêt sur image montre bien que l’on peut s’appuyer dessus pour valoriser l’humanité qui se dégage de cette équipe.

Jing TANG

Au final je me suis régalé de cette expérience unique. Mon critère de réussite d’un reportage c’est quand je peux rentrer au cœur de leur concentration sans qu’ils s’en rendent compte. Mais le mieux c’est de faire votre propre opinion, non ?

Liu Hong YAN
Yin YONGJIE
Xiangian SUN
Song LIANLIAN
Lasai ZHA
Zhangzhi YUAN
Yan WANG

Le temps a manqué pour conclure l’essai et passer une semaine au centre national de Pékin. La coronavirus a définitivement fait tomber le rideau avant les JO de Tokyo. Mais que ce fut beau !

Alors quel avenir pour cette équipe ? Je ne lis pas dans le marc de café en ce qui concerne le palmarès. Mais ce qui est sûr c’est que ce groupe ressortira transformé de la quarantaine qui la frappe depuis le début de l’épidémie. Jusqu’à preuve du contraire, après plus d’un an d’isolement, l’équipe de Chine va refaire son retour en Géorgie en ce mois de mars 2021. Plus d’une équipe aurait littéralement implosée devant les contraintes supportées si longtemps. Pas la Chine, c’est la force de son histoire. Toutes mes infos vont dans ce sens. Elle ne s’est pas démobilisée. Même à distance, l’influence de Jean-Pierre MILLON a produit son effet. Il a donné les clefs de la métamorphose de l’équipe féminine. Elles ont eu confiance en son message et se sont épanouies. Alors franchement qu’importe les résultats proches à venir, l’important est d’y être. Car rien ne remplacera jamais la compétition.

Anqi SUN

Xiéxié !

Emmeric LE PERSON

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Une réponse sur « 中国 : LA CHINE »

« L’enseignement dans la douleur et le perpétuel dépassement de soi n’est pas synonyme d’épanouissement personnel. Tellement loin des notions du taoïsme »

Cette seule phrase suffit à donner la finesse de ton approche de ce pays. Pour l’occidental que je suis la magie de ton récit est bien plus qu’une invitation voyage, elle est le voyage lui-même. Au cœur de l’Asie, de ses mystères. Au cœur de l’humain et du judo. Grand merci fraternel et félicitations à toi l’ami! Tu rapproches le judo de chacun. Nul ne peut juste survoler ton oeuvre puisqu’elle provoque des points d’attraction tellement singuliers et puissants à la beauté de l’humain Ah! Judo…..

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