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Toni KUKA : le faiseur de reines !

Toni KUKA

Juillet 2017, le rêve devient réalité : je suis au Kosovo pour couvrir le stage international de préparation aux championnats du Monde. Il faut sortir des statistiques et se confronter à la réalité du terrain. On ne peut jamais se satisfaire de la lecture d’un palmarès, si formidable soit-il. Une quête m’anime ici, comprendre comment ce pays neuf des Balkans a-t-il pu engendrer une telle championne ? Majlinda KELMENDI double championne du Monde est devenue championne olympique à Rio. L’émotion qui l’a submergée avec Toni son coach, a empli la salle et traversé les écrans du monde entier. Comprendre ce qui se cache derrière la guerrière des tatamis .

Toni et Majlinda KELMENDI

Dès la sortie de l’avion à Pristina et le trajet qui m’amène à Peja avec Toni au volant je comprend que la performance de Rio est encore dans toutes les têtes ici. Avec Ercan CAKIROGLU le coach turque de Galatasaray, on l’écoute nous raconter comment il a vécu les JO de Rio. Ses périodes de doutes, juste avant, suite à la déception des JO de Londres. Son émotion indescriptible qui a suivi la médaille d’or de Majlinda. Il nous raconte surtout comment il a géré son équipe. Dès la victoire en début de soirée le message a été clair pour Majlinda. Ce soir on ne fête RIEN ! Nora GJAKOVA doit combattre demain. On doit la respecter avant tout. Le lendemain Majlinda servait de Uke à Nora. A l’issue du parcours trop bref de Nora compte tenu de ses capacités, Toni a eu ces paroles superbes :  » C’est pas grave Nora, on sait que tu relèves de blessure, ta victoire c’était d’abord de te qualifier. Tu t’es fait ton expérience et je savais que tu avais peu de chance de ramener une médaille cette fois…mais cette fois seulement ! Pour Tokyo tu seras prête. » Mais pour lui aussi ce fut une épreuve, il en a pas dormi pendant une semaine, trop d’émotions à gérer…seulUn silence empli de larmes rempli la voiture, devenue trop exiguë d’un coup. Quel témoignage, quelle leçon de vie. Je sens qu’humainement, l’empreinte kosovare s’annonce très profonde sur mon chemin de la connaissance du judo mondiale . Les 40mn qui nous sépare de la capitale Pristina, sont avalés en un clin d’œil. Les montagnes des Balkans qui culminent ici à 2500m, vont au final, me rapprocher plutôt d’un Everest du judo.

Le vieux bazar de Peja

Peja, 4 lettres c’est un peu court mais ça résume tout le judo kosovar. Le stage se déroule dans le club de la famille de Toni, dont le frère Agron en est le Président. Une seule surface de tapis, dont les murs sont recouverts des exploits planétaires de Majlinda , Nora GJAVOVA , Distria KRASNIQI et Akil GJAKOVA le frère de Nora. Une pièce de musculation spartiate mais suffisante qui va directement à l’essentiel. Le dojo est en fait au cœur d’un projet de vie beaucoup plus vaste !

Au lendemain de la terrible guerre de l’ex-Yougoslavie, il a fallut reconstruire les villes comme ici. A Péja il leur a fallu seulement 2 ans pour tout rebâtir à partir des ruines. Il a fallu aussi reconstruire sa vie après un tel traumatisme. Le Kosovo auto-proclamé en 2008 est encore à la marge de trop nombreux pays. Il est très difficile d’obtenir des visas pour les habitants. Mon accueil est d’autant plus intense qu’ils ont soif de contacts et d’échanges avec le monde. La diaspora importante revient tous les étés au pays. Mais l’opinion extérieur est très importante pour eux, et  comme on s’en doute l’accueil est exceptionnel. Alors dans ce pays de pionniers, la famille de Toni, parmi les principaux entrepreneurs de Péja a décidé de faire bénéficier au plus grand nombre les bienfaits du judo.

PEJA – CAMP  2017 propriété de la famille KUKA

Les maisons de la famille sont certes regroupées au même endroit. Mais le club de judo est ouvert aux jeunes du quartier qui le veulent, et la piscine, que dis-je les 3 piscines, sont en libre-accès, totalement gratuites, pour les habitants. Un bar et un restaurant sont là pour ceux qui le souhaitent , mais ce qui compte pour eux c’est de voir les mômes se dépenser en plein air tout l’été. Encore un effet jita kyoe au naturel que n’aurait pas renié Jigoro KANO. Il y a aussi au sommet de la colline un terrain de foot synthétique. Et pour recevoir les délégation des chalets, équipés comme des studios. Le décor est planté. Passons au judo !

Toute la puissance hors-norme de Majlinda KELMENDI

Comme le soupçonnait l’aménagement du site, Toni est quelqu’un de réfléchi, d’organisé et d’une grand degré d’expertise dans tout ce qu’il fait. Sa carrière de judoka a été arrêtée net par la guerre, et au retour plus rien ne sera comme avant. Dorénavant il consacrera sa vie à enseigner le judo autour de chez lui. De manière bénévole, c’est l’affaire familiale qui subvient à ses besoins, comme le dira avec pudeur son frère ainé Agron. Tout le monde le suit dans cette aventure. L’arrivée au dojo pour ses 7 ans de Majlinda va changer sa vie à tout jamais. Il a compris de suite qu’il avait en face de lui une gamine exceptionnelle. C’est simple elle était tellement concentrée jeune sur son judo au quotidien que jusqu’à ses 10 ans le Président n’avait pas entendu le son de sa voix au cours des séances.

Toni tout en complicité avec Akil GJAKOVA

Comme Toni le dit lui-même, au départ il était tenté de prendre des raccourcis dans l’enseignement et de les faire vite progresser. Mais le constat a été vite fait, une fois les résultats cadets engendrés au niveau international, ensuite tout s’effondrait. Le gamin n’étant pas habitué à être confronté à une forte opposition, au premiers obstacles il renonçait. Un bilan objectif lui a fait revoir sa copie. Pas évident quand le culte de la victoire et la fierté sont fortement ancrés dans les habitudes culturelles. Avec Majlinda  tout va changer.

Majlinda KELMENDI : on se souviendra que c’est elle qui a montré que c’était possible

Il me donne cette image qui me parle et me plait : on n’enseigne pas le judo aux enfants comme on le fait aux champions. Au départ c’est un niveau scolaire, puis ensuite un niveau de lycée et pour les meilleurs on rentre dans l’expertise des universitaires

Majlinda totalement épanouie après son titre de championne olympique

Au début de la carrière de Majlinda rappelez-vous, elle ne pouvait porter le dossard du Kosovo.Un homme a été déterminant pour le lancement de son parcours international : Marius VIZER le président de la fédération internationale. Il lui permet de participer aux championnats du Monde juniors de Paris en 2009…et elle l’emporte, en surclassant en demi-finale la japonaise Chiho KAGAYA, devant un VIZER estomaqué ! Majlinda ne l’oubliera jamais. Et lors de la cérémonie prestigieuse de l’ANOC (Association of National Olympic Committees) Awards à Doha en novembre 2016 qui récompensait les 12 meilleurs athlètes olympiques, elle fera un discours bref mais émouvant en le rappelant à tout le monde combien le geste de VIZER avait changé sa vie, et celle du Kosovo !

Madelène RUBINSTEIN – NOR

Le programme du stage est tout en subtilité. Loin du programme militaire que l’on peut trouver parfois en Europe centrale. 2 séances par jour sauf le mercredi et le samedi. Une alternance d’intensité et de technicité qui ravit tout,le monde ici. Toni a choisi en bonne intelligence la norvégienne Madelène RUBINSTEIN en sparring partner. Toujours partante, avec une condition physique au-dessus de la moyenne, la norvègienne fait honneur à son rang. A l’issue des mondiaux si elle sait que la porte du Kosovo lui sera ouverte ici à Péja pour la durée de son choix, invitée pour y développer son judo explosif. C’est aussi ça l’esprit de Toni.

L’intensité des échauffements

Je le vois au niveau de l’intensité de l’échauffement on est dans ce qui se fait de plus relevé au monde. L’impact des uchi-komi se passe de commentaires. Du coup tout le monde par mimétisme fait de son mieux pour se surpasser. Cela donne déjà de belle séquences avant les randori. Ça sera la tendance de toute la semaine.

Erza MUMINOVIC

Fationa KASOPI

Leotrime KRASNIQI

Déjà des cadettes, juniors détonnent ici au Kosovo. Erza MUMINOVIC, Fationa KASOPI, Leotrime KRASNIQI, Laura FAZLIU ont déjà un rendement exceptionnel. On aura l’occasion de les retrouver dans quelques années, pendant ce temps Toni les ménagera au niveau des compétitions. Chaque chose en son temps.

Cuki VEZELI et Remzi BEGU

Le haut-niveau c’est bien. Mais pour vraiment se donner une idée du judo d’un pays il faut voir aussi le judo enseigné aux enfants. J’ai eu cette chance. Avant les séances des athlètes de haut-niveau, il a profité de l’occasion de faire venir les meilleurs gamins du pays. Encadrés par Remzi BEGU et Cuki VEZELI , ils vont s’en donner à cœur joie car à l’issue de chaque séance ils peuvent assister à la séance de leurs idoles. Rapidement je me rend compte que là encore la culture et l’histoire d’un pays se retrouve dans son judo. Au grand damne des entraîneurs, les randori n’en sont pas. Ils sont directs dans le dur.

Le kumikata est énorme, même chez les filles. Les randori avec elles me le prouveront. Juste un mot en fin de séance des jeunes pour les remercier de leur accueil et aussi pour faire prendre conscience aux mômes que la chute fait partie de l’apprentissage. Et que l’on grandit avec son partenaire. En randori on peut prendre tous les risques c’est un laboratoire avant tout. On se regarde avec les profs, on se comprend. Mais on sait déjà que le chemin sera long tant la fierté les anime au quotidien. Le judo est aussi une porte de sortie magnifique. La vie de Majlinda est là pour le prouver. Au pays où le salaire minimum ne dépasse pas 300 euros, il y a des rêves qui peuvent sembler accessible. Elle est la preuve vivante que c’est possible.

Nora GJAKOVA -57

Alors Toni c’est l’entraîneur d’une seule athlète ? Erreur que je ne commettrais pas. Déjà Nora GJAKOVA en -57 a franchi un cap après sa médaille européenne à Kazan. L’aventure des JO de Rio lui prouve que c’est possible. Son abnégation au quotidien est un exemple pour tous. J’ai pu juger dans un randori que son kumikata est dévastateur, c’est d’ailleurs une des marques de fabrique du pays.

Distria KRASNIQI -52

N’oublions pas non plus Distria KRASNIQI, championne du monde junior en 2015, qui revenait juste de décrocher le titre de la francophonie quand elle a rejoint en cours le stage. Elle est en -52…et le restera surement tant l’épreuve des régimes pour la faire descendre en -48 mettrait sa santé en péril. Et alors, quel est le problème ? Elle fera toujours les championnats du Monde avec Majlinda. 2 chances supplémentaires à chaque fois d’atteindre le podium. Beaucoup d’athlètes en rêverait, alors les JO dans ce contexte ne l’affecte pas autant qu’on le croirait. Elle sait que le niveau de Majlinda est stratosphérique, et qu’à chaque olympiade elle met son pays en lumière.

Akil GJAKOVA -73

Oui Toni est un faiseur de reines, tout comme Richard NEVILLE était un faiseur de rois. Mais avec Akil GJAKOVA -73, il élargit son rayon d’action. Champion d’Europe cadet en 2013, il est revenu avec le bronze des Europe -23 ans de Tel-Aviv. Il nous a rejoint au stage après son titre à la francophonie. Allant jusqu’à chercher les plus lourds, sa condition physique, son judo et son mental vont l’amener très loin d’ici les JO de Tokyo.

Indrit CULLHAJ – 66 – ALB

Je ne serais pas complet sans évoquer aussi ce jeune albanais de 20 ans Indrit CULLHAJ. La frontière est proche ici , Tirana est à  100km, et Peja, comme le Kosovo en général est à majorité albanaise musulmane. Il a élu domicile ici la semaine pour bénéficier du savoir-faire de Toni. A noter qu’il a été le seul albanais présent aux championnats du monde en 2015.

Il est en passe de devenir en fait pour son pays le Kosovo dans le judo :

un faiseur d’empire !

Emmeric LE PERSON

ps : envie d’aller plus loin ? mon mag !

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