Macao
Le rêve continue. Toujours un peu plus sur les traces de Joseph KESSEL et Lucien BODARD, mes lectures d’adolescence prennent vie.
Une fois le tournoi cadet-junior international de Hong Kong, une évidence pour toute l’organisation : prolonger notre complicité et témoigner du grand professionnalisme de tous. La génération 2024 asiatique mérite que l’on s’y attarde.Et c’est parti pour une semaine à Macao, stage et compétition inclus. Encore une première, sortir des sentiers battus telle est ma vocation.Après une heure de traversée sur la Mer de Chine en turbojet, j’arrive dans cette bulle temporelle. Macao est tellement loin de la pulsation trépidante de la citée-monde hongkongaise. L’effervescence se trouve ici confinée à l’intérieur, dans les casinos bien-sûr ! Les voitures roulent au pas et s’arrêtent spontanément pour vous laisser passer. Les rues historiques te font aussi remonter le temps. Les portugais y sont restés près de 500 ans et ça se voit. Mais de détails subtiles révèlent une architecture métissée, unique au monde. Là où les dragons ne sont jamais loin des symboles religieux chrétiens.
Je prend mes quartiers et le lendemain au stage, dans un décor somptueux, au rouge profond, crée par le designer judoka Aquino DA SILVA, un éclair. Ce visage qui est en plein dans mon objectif et qui me transporte pourtant si loin d’ici. C’est l’Inde et sa diversité humaine qui me chavire. Mais voyez plutôt :
Je me rapproche, on m’a prêté un judogi bleu et je suis en totale immersion avec eux. Je refais ma mise au point et j’appuie sur le déclencheur.
Que la diversité humaine est belle.
Je ne le sais pas encore mais cette rencontre va bousculer les conventions indiennes.
Je me présente vers elle, je me rends compte qu’elle ne parle pas anglais. On ne se rend pas forcement compte que le sous-continent indien de plus d’un milliard d’habitants, compte plus de 2000 ethnies. Pas de soucis je m’adresse au staff indien qui me promet que je pourrais lui poser quelques questions à la fin de la séance.
Je peux maintenant m’atteler à témoigner de la puissance de ce stage et de la variété technique proposée par l’encadrement. J’ajouterai aussi la diversité ethnique de ce continent qui ne finira jamais de me fasciner. Un stage c’est deux séances de deux heures par jour. J’ai donc le temps, c’est un luxe en ces temps survoltés. J’ai donc tout le loisir d’observer entre deux prises la palette technique au sol et debout de Rébina. La confrontation ne lui fait pas peur, bien au contraire. La séance est maintenant terminée et un membre du staff indien m’amène vers elle.
On passe derrière le rideau où se trouve regroupée sur les tatamis, une partie de la délégation indienne. Le stage se déroule sur la future surface de combats du tournoi. La future salle d’échauffement sert ici pour le taiso ou les séances de débriefing. Je l’aperçois au fond, elle est accroupie . Je me présente face à elle, agenouillé. Mais où est passé le coach ?
Il est resté en arrière. Planté devant une autre athlète, il me fait comprendre que c’est avec celle-ci qu’aura lieu l’interview. Estomaqué je maintiens ma position en lui précisant que c’est avec Rébina que je veux parler en priorité. La tension devient palpable, bien que feutrée. Et là je comprend. Le poids des traditions et de la culture multi-millénaire de l’Inde me renvoie en pleine face ses propres contradictions. En pleine conscience, je reste stoïque. Le coach se résigne à venir enfin, avec cette rage contenue, consent à traduire mes propos en meitei, la langue du Manipur. Cette langue tibéto-birmane dont est issue Rébina. Tout s’éclaire enfin, elle porte sur elle ce carrefour des peuples.
Maintenant je vais voir seul l’autre indienne pour m’expliquer. C’est Pincky BALHARA .
Elle parle parfaitement anglais. Elle est bien représentative des canons de la beauté indienne. J’e lui explique ma démarche humaniste dans la photographie de judo. Le palmarès m’importe peu c’est d’abord témoigner de la diversité humaine qui ‘importe. Mettre en lumière ceux qui ne sont jamais mis sous les feux des projecteurs. En ce sens Rebina figurera sur mon prochain calendrier et mon projet de livre. Elle ne saisit pas mon point de vue. Je le comprend parfaitement, c’est anachronique dans notre milieu. D’autant que Pincky vient d’être sacrée championne d’Asie au Liban il y 2 mois à peine. Je lui propose de l’aider dans sa communication en la mettant en valeur lors de la compétition. Elle me transperce de ses yeux noirs, fin de la discussion. Mais pas la fin de notre histoire, il faut savoir trouver le bon moment. Et cette opportunité arrive effectivement pendant la compétition. Fidèle à ma démarche, et au cahier des charges que je présente toujours aux organisateurs, je couvre essentiellement la salle d’échauffement et la chambre d’appel. Je fais une série de photos sur Pincky. Merveille de technologie, je peux immédiatement partager mes photos.
Elle regarde mon écran, en une seconde elle a compris, me sourit. On est en phase..
Devant ce sourire radieux, le responsable de la délégation indienne, Nain PAL, vient me voir et me montre son portable.
Les mots sont inutiles parfois. C’est l’affiche officielle des championnats de judo du Commonwealth qui auront lieu à Jaipur. J’en suis ému aux larmes car je sais que là encore c’est une première. Avec Nain PAL on se tombe dans les bras. Malheureusement pour des raisons extra-sportives cela ne se concrétisera pas, à notre grande tristesse.
En attendant, c’est le jour-j pour Rébina. Sa concentration est vraiment impressionnante.
J’ai aussi le bonheur de constater que sa coach, Rajni PALA est bienveillante dans son approche.
On voit qu’elle est attentionnée et surtout pas dans le vindicatif pour la préparation au combat de ses athlètes. Là encore c’est une leçon que je retiens et qui devrait tellement être généralisée. Haranguer ne sert à rien, c’est le signe de la médiocrité j’en suis intimement persuader. Rester constructif voilà ce qui marche vraiment. Je prend le duo en photo. Je regarde, elle est prête au combat.
Elle remporte le bronze ce jour-là. Je la voit revenir avec sa démarche féline.
Elle est juste magnifique.
Je ne sais encore si je recroiserai Rébina au cours de mes reportages. Mais puisse cela donner envie à mes autres collègues photographes de continuer à la mettre en lumière. A l’image de son pays, elle est une personnalité complexe, très difficile à saisir. Mais ce fut un honneur et une des plus belles rencontres de ma carrière pour un portraitiste comme moi. Je te souhaite une longue carrière en -57 Rébina, tu n’es qu’au début.
Emmeric LE PERSON